Et ça recommence. Encore et encore. Comme le martèlement régulier qu'un forgeron produirait en façonnant avec tout son amour de l'art, la pièce maîtresse, celle qui parachèvera son œuvre. Dans le fond c'est peut être tout ce que nous sommes à ses yeux. Ses chefs d’œuvres. A mes yeux en tout cas elle fait preuve du même fanatisme. Il n'y à pas d'amour dans ses yeux, juste la ferveur un peu folle de l'artiste pour sa plus grande réussite. Dans les miens en tout cas il n'y à rien, rien qui soit discernable. Vivre sous cette carapace m'est devenue si coutumier que je ne cille même pas quand les gifles pleuvent. Il est loin le temps où, petite, elle me faisait sortir de mes gonds à m'en laisser par terre, roulée en boule à attendre que la correction s'arrête. La claque qui résonne maintenant, aussi cuisante soit-elle, ne lui vaut plus qu'un regard mort. Y lit-elle seulement cette secrète promesse que je lui fais à chaque fois que nos yeux se croisent ? Peut être oui, j'ai parfois l'impression de discerner un instant de peur dans ce regard maternel, vite refoulé par la méchanceté et la seconde claque qui ne se fait pas attendre. Je la haït, oh oui, plus que tout je la hait. A chaque fois que sa main retombe je m'imagine avec ce couteau dans la main qui plonge et qui plonge encore et encore et encore. Et lui aussi je le hait. De toi papa, je ne garderai que le souvenir d'un grand lâche qui s'efface devant sa femme, qui n'a pas même le courage et la volonté de s'opposer à elle pour protéger tes enfants et qui préférait se détourner quand une petite fille terrorisée t'implorait à l'aide du regard. Qui te suppliait d'arrêter quand la nuit tu venais la border. Comme je les hait tout les deux. Et même toi, toi qui partage mon sort et qui devrait me comprendre, tu n'es pas là pour moi, ne devais tu pas me protéger ? N'est ce pas là ton rôle de grand frère ? Tout ça, c'est sa faute à elle. A elle ! Elle t'as ravi à moi, ne vois tu pas comme elle te manipule et contrôle ? Tu ne me vois plus même, trop obsédé par ta catin qui t'ensorcèle et te détourne de moi. Elle aussi je la haït ! Elle t'a arraché à moi et je brûle. Je brûle à en crever. Ne te détourne pas de moi pour cette planche de salut illusoire, ce serait me plonger dans cette nuit froide et pleine de cauchemar que je redoute. Car si tu me rejette pour elle, qui sera là pour moi ? Personne ne me sauvera. Ne dit rien. Je danserai bientôt sur le cadavre de ta précieuse Sutton et celui de nos chers parents et alors nous serons libres tout les deux. Libres d'oublier.


Jubilation. Je sautillerai presque sur place en grinçant comme une hystérique, rien que de repenser à la nuit passée. Cette nuit où tu lui as plantée toi même un couteau dans son pauvre petit cœur en lui dévoilant la vérité. Sutton, je t'embrasserai presque de me mâcher ainsi le travail, tu n'aurai pas pu me faire plus plaisir sauf en te noyant dans le lac. Les as-tu vu ses yeux fous, suintant l'agonie quand il à compris ce que tu étais ? Tu l'as détourné de toi plus sûrement que je n'y serai jamais arrivée moi même et pour ça, bien que ça m'écorche la gueule de le reconnaitre, je t'en serai à jamais reconnaissante. A quoi bon te tuer maintenant quand je peux me servir de ton souvenir pour le faire plier ? Je n'ai qu'à lui ouvrir un peu plus les yeux pour qu'il se charge de toi lui même, alors seulement, quand il se sera lui même purifié dans le sang et les larmes je pourrai enfin le façonner à mon image. Je fronce un instant des sourcils, cette idée là m'excite autant qu'elle me révulse, j'ai l'impression d'être ma mère. Dis moi Sutton, toi qui sait toujours tout, est-ce sa faute à elle si je suis comme je suis ? Ou l'étais-je déjà à ma naissance ? Si ma mère avait été une autre et si mon père ne m'avait pas touchée, serai-je moi aussi une autre ? Une jeune fille mièvre et bien comme il faut, frivole qui ne pense qu'aux garçons et au shopping ? Cette pensée là m'inquiète presque, en tout cas elle me dérange je dois bien l'avouer. Reste que poser ce genre de question est idiot non ? Après tout on ne change pas le passé. En revanche nous écrivons notre propre futur et crois moi, le mien je l'écrirai avec le sang de ma chère mère et si tu te met en travers de mon chemin, avec le tien. Tu sais cette question sur ma personnalité, je crois que j'ai la réponse. Quelque part au fond de moi il y à toujours cette petite fille innocente avec ses grands yeux rêveur et tu sais, quand elle regarde dans ma direction je vois bien que je lui fait peur à elle aussi. Peu importe en fait, elle n'existe plus. Elle était faible, elle était effrayée, elle est morte. Il n'y avait pas de place pour elle tu comprends pas vrai ? J'étais bien obligée de la tuer sinon elle nous aurait tuées toutes les deux. Je ne peux même pas dire si je regrette ou pas de l'avoir fait, à la vérité je sais que je m'en fout. Ça n'a plus tellement d'importance maintenant. Mes yeux se posent sur cette photo où nous sommes côte à côte en tenue avec le reste de l'équipe. J'écrase le mégot sur ta tête. Je sais pas. Je ne me sens pas soulagée pour autant. Il reste tant à faire.