« Maman, je suis rentré ! »

Posant ma valise sur le sol, un léger sourire se dessina sur mes lèvres tandis que mes yeux glissaient sur chaque petit détail de l'entrée de la maison que j'avais quittée durant si longtemps pour pouvoir étudier la médecine dans l'UCH (University College Hospital) de Londres. Ces six ans loin de chez moi m'avait paru une éternité, même si j'y étais revenus à plusieurs reprises ce n'était pas la même chose, là j'étais enfin de retour et j'en étais comblé.

Entendant du bruit dans la cuisine je me dirigeais naturellement vers elle en me disant que ma mère devait déjà être aux fourneaux pour me préparer un de ses bons petits plats dont elle avait le secret.
J'admirais ma mère, c'était une femme avec une personnalité tendre et en même temps hyper perfectionniste et toujours en train de faire mille choses à la fois. C'était une mère célibataire et elle avait réussi avec ça à gérer sa qualité de sorcière et sa carrière de publiciste en même temps, réellement elle était admirable. Pourtant, la partie n'était pas gagnée d'avance surtout avec deux fils en charge.
Je me sentais très proche d'elle et partageant la même passion pour la magie des plantes qu'elle, j'étais d'autant plus proche d'elle que mon frère ne l'était et je sais qu'il avait beaucoup de mal à le supporté. Il n'était pas jaloux de moi, mais d'elle. J'étais SON frère jumeau, alors il n'aimait pas me voir aussi complice avec quelqu'un d'autre que lui.

Moi et mon frère, Joshua, sommes venus au monde le 21 décembre 1977. Mon père quitta ma mère quand nous avions deux ans, ce dont je ne lui tiens pas spécialement rigueur, je sais que, s'il était resté, ma mère n'aurait pas été plus heureuse, donc je n'ai pas vraiment de regret de ce côté-là, contrairement à mon frère qui ne supportait même pas que l'on parle de notre père. Enfin, Joshua détestait tout un tas de personnes et à l'évidence la personne qu'il détestait le plus ce devait être lui-même. Plus les années passèrent plus nous nous révélions aussi foncièrement différent sur le plan de nos personnalités que semblable physiquement. J'étais, et je suis encore aujourd'hui, quelqu'un de plutôt calme et ouvert tandis que Joshua était asocial et apathique. Pourtant, malgré nos différences flagrantes de personnalités, nous n'étions pas moins inséparables.

Je lui restais loyal, même quand je savais qu'à l'insu de ma mère il se détournait de la magie des plantes, qui étaient celle de notre famille depuis plusieurs générations, pour se tourner peu à peu vers la magie noire. Je ne le protégeais pas parce que j'approuvais son choix, mais seulement je considérais qu'il était libre de choisir seul la voie qu'il désirait suivre. J'aurais sans doute mieux fait de le dissuader de se tourner vers cette magie, mais je ne suis pas sûr que cela aurait réellement changé quelque chose à ce que j'allais découvrir en entrant dans la cuisine ce jour-là. Après tout, Joshua avait toujours été un enfant... particulier, de la manière la plus sombre que l'on puisse imaginer associer à ce terme.

« Tu es là ? » Mon frère s'approcha de moi et m'enlaça, je restais dans ses bras figé parce que je voyais.
« Qu'est-ce que tu as fait ? » Dis-je la gorge serrée par l'émotion et le choc.

Devant nous, sur le sol se trouvait le corps inerte de ma mère, baignant dans son propre sang les yeux écarquillés par l'horreur qu'elle avait du subir en quittant le monde des vivants. C'était une véritable image de cauchemars. Il arrive à tout le monde de penser au jour où l'un de ses parents quittera notre monde, mais en général on ne s'imagine pas quelque chose d'aussi violent, enfin sauf si vous-même vous avez déjà eu envie de tuer vos parents... dans ce cas-là... allez voir un psy.
Plusieurs entailles parsemaient son corps, elle avait dû vouloir se défendre, mais elle n'avait eu aucune chance face à la démence de mon frère.

« J'ai fait ça pour toi, c'est un cadeau pour ton retour à la maison. »
Je me dégageais de lui et le poussait violemment contre le plan de travail de la cuisine.
« Tu es malade ?? Espèce de monstre ! Qu'est-ce que tu as fait ?? »
« Non non je suis pas malade » Joshua se mit à regarder la pointe de ses chaussures, remuant le couteau qu'il tenait dans ses mains, couteau qui avait servi à tuer ma mère. Un vrai gamin pris en pleine faute.

Je m'étais jeté au sol, accroupi à côté du corps sans vie de ma mère je posais ma main sur son cou, puis sur son poignet, comme si j'avais encore l'espoir d'y déceler encore un infime petit battement de cœur, mais la couleur livide de son corps ne m'avait pas trompé, elle était morte depuis plusieurs heures maintenant.
Elle portait encore son tablier de cuisine et sur la table elle avait sorti quelques légumes et plusieurs pièces de viande. Elle voulait me préparer son fameux bœuf bourguignon apparemment. Ma mère et la cuisine française, c'était une véritable histoire d'amour, selon elle il n'y avait rien de meilleur au monde. Je ne la contredisais pas sur ce sujet, d'une part parce qu'elle aurait piqué une crise si je l'avais fait et d'autre part parce que je trouvais qu'elle avait raison.

Je passais ma main sur ses yeux pour les lui fermer et m'éviter de lire en elle tout l'effroi de sa mort.

« Elle avait découvert, elle voulait m'éloigner de toi, je ne pouvais pas la laisser faire. Tu me comprends ? » Joshua s'approcha de moi et le simple fait de le regarder me donnait envie de vomir. « Je vais brûler la maison et tout le monde croira à un accident, cette maison est vieille après tout, on a déjà eu plusieurs problèmes avec l'électricité » « Tu as pensé à tout à ce que je vois » Prenant surement cela pour un compliment je le vis sourire d'un air excité, il était à la limite de se mettre à sautiller sur place. « Oui ! J'ai même fait en sorte que la lame n'atteigne pas l'os, au cas où on retrouvait quelque morceau d'elle dans les cendres. » Je baissais la tête et fermais les yeux, je n'arrivais pas à comprendre comment il avait pu faire ça, je veux dire, je savais qu'il avait un penchant pour la magie noire et que ça pouvait avoir des conséquences sur sa santé mentale et physique, mais je ne pensais pas qu'il déraperait de cette manière... enfin, du moins, c'est ce dont j'avais fini par me convaincre avec le temps. Je ne voulais pas le voir tel qu'il était, parce qu'il était tout de même mon frère, mon jumeau, une partie de moi, nous avions grandi ensemble, partager tellement de choses ensemble... Est-ce que ça faisait de moi un monstre tout autant que lui ? Sans aucun doute.

Me relevant je plongeais mon regard dans le sien sans exprimer la moindre émotion sur mon visage jusqu’à ce que je laisse apparaître un léger sourire rassurant.

« Je savais que tu ne m’en voudrais pas, tu es mon frère Adam. »
« Donne-moi le couteau »
Sans même se demander pourquoi, sans même hésiter un instant, parce qu’il me connaissait par cœur, parce qu’il savait que des deux j’étais celui sur qui on pouvait compter, parce que j’étais celui qui c’était toujours montré le plus sage et le plus agréable, parce que des deux j’étais le "bon", il me tendit le couteau en toute confiance. Le couteau était encore couvert du sang de notre mère et je m’en saisis en sentant une nausée monter en moi à grande vitesse. Pas que le sang me dégoûte, j’avais fait médecine, c’est juste que c’était son sang à elle et imaginer ce que mon frère lui avait fait avec ce couteau, c’était purement insupportable.

« Maintenant fermes les yeux »
« Pour quoi faire ? »
« Tu n’as pas confiance ? » dis-je en feignant un air offusqué
« Bien sûr que si ! »
« Tu m’as offert un cadeau, il faut donc que je t’en fasse un retour, n’est-ce pas la chose la plus juste à faire mon frère ? »

Son sourire s’agrandit et il ferma les yeux, attendant le présent que j’allais lui offrir. J’ai peut-être des remords sur ce que je lui ai fait, mais je ne le regrette pas, ou pas complètement. Il n’aurait jamais accepté d’aller en prison et même s’il avait fini par y aller l’enfermement n’était pas quelque chose qu’il aurait pu supporter. Je ne dirais pas que c’était réellement un cadeau que je lui ai fait au bout du compte, mais je sais que c’était la seule chose à faire.
Je me suis glissé derrière lui, j’ai placé la lame du couteau au niveau de son cou et j’ai tranché d’un coup net et rapide avant de le voir tomber au sol s’étouffant avec son sang.

Me résigner à brûler la maison dans laquelle j'avais grandi avec les corps des seules personnes qui avaient jamais compté pour moi fût totalement anéantissant. Les seules choses que je pouvais prendre avec moi c'était le livre de ma mère et mes valises, tout le reste devait brûler pour que cela paraisse naturel. Je racontais aux policiers qu'en rentrant chez moi j'avais découvert ma maison en flamme sans savoir si quelqu'un était à l'intérieur ou non. Quand ils m'annoncèrent avoir trouvé les corps de ma mère et de mon frère, je dus paraître suffisamment choqué et dévasté, car on ne me soupçonna de rien. Mon frère avait raison, tout cela passa pour un banal accident domestique.

Quelques années plus tard je quittais l'Angleterre, je quittais l'Europe pour rejoindre le nouveau continent. J'avais besoin de m'éloigner de cet endroit le plus possible. Je ne supportais plus d'y rester, je pensais sans arrêt à eux et à combien tout cela était de ma simple et unique responsabilité au final. J'avais choisi New Salem comme destination. Un jour j'avais entendu ma mère au téléphone dire que mon père s'y trouvait et y avait même fondé une famille. Je ne sais pas pourquoi je tenais à y aller alors que je n'avais jamais eu le désir de le rencontrer, je ne comptais pas le chercher, ou apprendre à le connaître, mais je savais que je devais y aller.